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Voyage éphémère chez les Tapirapé

Peuple amérindien du Brésil Central

Serge Guiraud

Amazonie brésilienne, Juillet 2009

 

cara grande detoure

L’allée de cannes à sucre borde une piste de terre rouge. En cette saison, la chaleur du soleil a transformé la boue de l’hiver en une légère poussière qui se soulève au passage de mon véhicule. Elle reste en suspension puis se repose lentement. Au bout du chemin, la terre indienne de Urubu Branco. C’est le territoire des Tapirapé.

Le village semble vide. Normalement, à cette heure de la matinée, les enfants jouent sur la grande place centrale, les femmes se consacrent aux corvées ménagères et les hommes, du moins ceux qui n’ont pas un emploi rémunéré fabriquent un artefact destiné aux galeries de São Paulo. Je me dirige directement vers la maison de Reginaldo, un ami de longue date avec qui je dois discuter d’un projet. Il est absent. Il est à Confresa, une ville située au Nord-Ouest du Mato Grosso, à 30 km de la réserve.

J’apprends qu’un enfant est décédé dans la nuit. Le corps, enroulé dans un hamac, est enterré dans la case des parents. Comme l’impose la coutume, la communauté doit respecter une période de deuil d’un mois, ce qui signifie l’arrêt complet de toute activité. Le délai est plus long lorsqu’il s’agit d’un adulte. 

Je me rends de l’autre côté du village, chez les Petites Sœurs de Jésus. Elles sont trois et habitent une maison en torchis et paille semblable aux autres. Il y a deux françaises et une brésilienne. Elles sont arrivées au début des années 50. A cette époque l’effectif des Tapirapé ne comptait pas plus d’une cinquantaine de personnes. Le reste de l’effectif n’avait pas résisté aux épidémies transmises par les néo-colons venus en nombre « mettre en valeur » l’Amazonie. Sœur Odile se souvient que la région était jadis couverte d’une épaisse forêt. Aujourd’hui, les plantations de soja, l’élevage bovin et la canne à sucre ont supprimé tout relief et ouvert des horizons infinis.  

Au SPI, l’ancien Service de Protection des Indiens, remplacé de nos jours par la Funaï (Fondation Nationale de l’Indien), on ne donnait pas cher du sort des Tapirapé. Le pronostic était sans appel : cette tribu, comme beaucoup d’autres à cette époque allait s’éteindre. Alors on autorisa les Sœurs à venir au chevet des Indiens. Si elles ne soulagent pas les corps, pourront-elles au moins donner la sérénité aux âmes ! C’est le contraire qui va se produire. Ce ne sont pas les prières qui sauvèrent les Tapirapé mais les compétences médicales et le dévouement sans fin des Sœurs. A l’inverse de beaucoup de missions religieuses, les Petites Sœurs de Jésus ne cherchèrent pas à ramener les Indiens dans le «droit chemin». Elles apprirent à décrypter, à l’instar d’un ethnologue, les codes de cette culture marginale pour la comprendre et la respecter. Aujourd’hui, les Tapirapé sont 800 et la proximité de la société moderne n’a pas réussi à contaminer totalement leur organisation sociale.

En fin d’après-midi, Reginaldo me rejoint chez les Sœurs. Il est employé à la Funasa, une fondation qui s’occupe de la santé des Amérindiens. Il s’excuse de ne pas m’avoir accueilli lors de mon arrivée mais il devait prévenir ses employés du décès de l’enfant. Il a pu obtenir une permission de quelques jours pour respecter le deuil.

Il me dit que j’arrive trop tard et qu’un jour plus tôt j’aurais pu assister à la fête du Tãwa. Ce rituel est une mise en scène des guerres intertribales qui, il y a peu, voyaient s’affronter les Tapirapé aux  Kayapo et aux Karajá. Il permet de rendre un hommage à la mémoire des guerriers et, est un moyen de laisser en paix les esprits des âmes. Les tribus ennemies sont représentées par un masque en bois recouvert de plumes dont seule la composition des couleurs les identifie. La cérémonie dure une journée et se répète tous les ans.

Je demande à Reginaldo où se trouvent à présent les masques. Ils me conduit dans la Takara, une case en paille située au centre de la grande place. Ici c’est le domaine réservé des hommes. Les femmes n’ont pas droit d’y accéder. Les masques, au nombre de trois, sont suspendus à des potences. Leurs formes anthropomorphes prêtent vie à ces visages de bois. Ils semblent nous observer et nous imposer une certaine intimidation. Les esprits des anciens guerriers sont apaisés mais, attention, ils veillent et peuvent à tout moment exercer leur pouvoir maléfique

 

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